ENFANCE
Poème de Francis Carco
Musique Françoise Fognini
ENFANCE …Moi, Fille des bois
Je me souviens de l’odeur des lilas, des poiriers en fleurs, d’une après midi dans les arbres à manger des cerises bigarots noires de sucre et de soleil, tant et tant à m’en tenir le ventre toute la nuit. Gourmandise à califourchon sur les branches, un fruit chassant l’autre, plus gros, plus tendre, plus juteux. Les pendants d’oreilles écarlates, la joie sur les visages. A l’époque d’ailleurs, sur les étals, les cerises se vendaient en grappes. Aujourd’hui elles sont toutes orphelines…
Je me souviens de ce muret qui séparait Jean Charles, Laurence et Frédéric et nous. Ce muret entre les maisons, entre les saisons.
Je me souviens qu’ils vouvoyaient leurs parents. Et moi qui trouvait cela tellement décalé. Le décors ne s’y prêtait pas; Ils vivaient dans une copropriété coquette mais pas de quoi se donner du « Maman s’il vous plait » à table. Bourgeoisie Lyonnaise sur le retour, brise de petites filles modèles, vouvoiement sans robes de marquises …Aucun intéret à ce folklore daté : Le futur se vit toujours au présent.
Je me souviens de notre « chalet » de montagne, spartiate, deux wagons transformés en gite devant lequels s’étendait le plus beau champ du monde. Le champ de la liberté.
Au mois d’avril, les narcisses fleurissaient déjà en plaine. Là haut, il fallait attendre début juin pour assister à un spectacle d’une beauté à couper le souffle.
Je n’oublierai jamais cette impression d’immensité. Le champ jonché de Jonquilles, de narcisses sauvages et de ces gros boutons d’or dont j’ai oublié le nom.
Avec mes soeurs, nous courrions en riant dans ce champ maculé de fleurs jaunes et blanches, immergées dans le printemps par essence. Puis, avec ma mère, à la fin du dimanche, nous emportions avec nous un peu de cette orgie de pétales et de senteurs. Des brassées de fleurs, des bouquets d’un mètre d’envergure, un mal de tête tenace à la fin du trajet dans la voiture après avoir respiré une heure ces odeurs entêtantes.
Si la liberté a une odeur c’est celle ci
Si la beauté de la nature a un visage, c’est celui ci
S’il existe un Paradis perdu, il est quelque part en haut du Valromey au col de Richemont lieu dit le goley Rebi. Sans eau ni électricité, l’écho de la montagne pour compagnie, la nature, toute la nature, rien que la nature .
Aux heures chaudes, nous avions toujours peur de croiser un serpent, alors notre baton tapait la mesure dans les fourrés, précédant nos pas.
Je me souviens là haut, la ferme où nous prenions le pain. Ce pain de ménage à la croute brunie au feu de bois. Le pain qui se gardait toute une semaine dans un linge de coton. Je me souviens aussi du garçonnet qui gromelait plus qu’il ne parlait, qui voulait nous impressionner en nous montrant les lapins qu’ils prenait à pleines mains. Oh lapins, fourrures si douce et nez fremissants. Je vous adorai lapins, lapins .
Je me souviens de la liberté quelques heures par semaine en dehors du regard des parents, des feux l’après midi dans les bois près de notre cabane improvisée. Le gout des patates sous la cendres, les cubes de gruyère fondus sur la braise, moi petite Robinsone des après midi de printemps.
Je me souviens des hannetons dans mes cheveux, ces scarabés noirs et grassouillets que les beaux jours enfantaient. Ils s’accrochaient dans ma chevelure brune, et ça me faisait peur et c’était un peu dégoutant mais toujours, ils annonçaient par leur présence, les jours qui rallongeaient, les glaces au goûter de juin, les grandes vacances approchantes.
Je me souviens de ma solitude, de ma détresse, du sentiment d’être si différente, de l’impression de n’être comprise, ni aimée par personne. De mon regard bleu gris vert qui en savait long. Trop de dureté, tant de beauté beaucoup, de rire déjà en antidote et une sorte de conscience instinctive en bandoulière.
Je me souviens de ma mère austère parfois, courageuse toujours, espiègle et légère aussi, seule pour élever ses enfants
Je me souviens de l’AVC de mon père ce soir de janvier il y a 40 ans, de sa maladie sournoise pendant vingt ans. Hémiplégie, Aphasie sans paroles. l’enfer-me-ment distillé.
Je me souviens avoir voulu partir sans pouvoir le faire.
Je me souviens que les arbres étaient mes abris et mes frères.
Je me souviens des jolies taupes mortes que ma mère chassait dans le jardin et les mottes qui remuaient le gazon.
Je me souviens de ces odeurs, des feuilles rousses, des châtaignes au feu, du meilleur repas les soirs après cueillette. Chocolat chaud crémeux dans lequel nous égrenions les fruits grillés encore chauds. A boire et à manger. Essayez c’est divin.
Je me souviens de ma petite soeur adorable à croquer et du « palon rouge pour DIDI » qu’elle scandait à tue tête lors de l’achat de sa salopette rouge.
Je me souviens de ma Grande Soeur made in flower power, moitié Birking, moitié Beatles si belle dans sa robe kaki de dentelle.
Je me souviens de l’école, de mes chats, du piano, des kermesses, des baptêmes, de mes rêves, du théâtre.
Je me souviens de… mes peines
Je me souviens de ces villages, de ces pierres, de ces jardins, de ces glycines et leur grappes mauves, lourdes et sensibles aux pérons des maisons cossues. La beauté des tonnelles, les chemins de pierre, la cathédrale, la messe et les oeuvres de Bach, Je me souviens d’avoir détesté certains de ces moments comme une peau immuable, comme je les chéris aujourd’hui.
Je me souviens de tout ce qui est important avec gratitude pour le meilleur et le moins bon.
Moi fille des bois, aujourd’hui , je vis en ville, la forêt vit en moi.
« De la plume de l’Amérindien à celle du poète, entrez dans le cercle infini du partage musical de TRIBU »
NOTE D’INTENTION DU PROJET
ENFANCE / TEXTE DU POEME
Enfance Francis Carco (1886-1958) La bohème et mon cœur
Les persiennes ouvraient sur le grand jardin clair et, quand on se penchait pour se griser à l’air humide et pénétré de fraîcheurs matinales, un vertige inconnu montait à nos front pâles.
Et nos cœurs se gonflaient comme un ruisseau grossi car c’était tout un vol de parfums adoucis. Dans l’éblouissement heureux de la lumière : les lilas avaient des langueurs particulières où se décomposait une odeur de terreau. Tout le printemps chantait l’éveil des oiseaux et, dans le déploiement des ailes engourdies passait le grand élan paisible de la vie.
Une rumeur sonore emplissait la maison. On en attendait des bruits d’insectes ; des frissons faisaient trembler les grappes mauves des glycines tandis qu’allégrement des collines voisines, un parfum de sous-bois arrivait jusqu’à nous.
Ô matin lumineux ! matins dorés et flous, je vous respirai plus tard à la croisée et vous aurez l’odeur des feuilles reposées et ce sera comme un très ancien rendez-vous.
Une immense brassée de merci
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